Les vertus de l'échec

Ce texte est une traduction de l'article "The virtues of failure"écrit par Daniel Greenberg sur le blog de la Sudbury Valley School. Daniel Greenberg est co-fondateur de la Sudbury Valley School et il y travaille depuis 50 ans. Je remercie la Sudbury Valley School de m'avoir autorisée à publier la traduction de cet article sur ce blog.


Si je devais choisir un sujet central et essentiel pour l'expérience éducative de chaque enfant, je n'aurais aucun problème à l'identifier. Ce serait : comment gérer l'échec.

Et pourtant, c'est le sujet le plus largement ignoré dans les écoles traditionnelles. Au contraire, la devise de nos écoles pourrait tout aussi bien être celle que ce que répétait tous les matins, en plaisantant, un de mes vieux amis à son équipe de travail : «Ne faites jamais rien de mal; faites toujours tout bien!"

Lorsque l’on a demandé à Niels Bohr, l'un des plus grands physiciens du XXe siècle, à quoi il attribuait son formidable succès créatif, il a répondu sans hésiter: «J'ai simplement fait plus d'erreurs que n’importe qui d’autre». Lorsque l’on étudie la vie de personnalités que l’on admire, on voit sans cesse leurs majestueux démêlés avec l'échec, comme par exemple Thomas Edison, qui a essayé des centaines et des centaines de matériaux pour le filament de son ampoule électrique.

Nous apprenons à travers l'histoire que les personnes les plus inventives étaient à peine reconnues de leur vivant - en effet, elles étaient généralement vues par leurs contemporains comme des personnes étranges, et elles étaient souvent réputées folles. Il existe d'innombrables exemples où de notables contributions à la société ont été faites par des personnes qui n'ont jamais connu le succès.

Dans le monde des affaires et de la finance, où le succès est synonyme de survie et de rentabilité, on trouve des entreprises, des plus grandes au plus petites, qui sont passées à deux doigts de la faillite, qui ont rebondi et se sont refait un nom.

En effet, l'une des expressions les plus courantes est que «les gens devraient apprendre de leurs erreurs», et que l’erreur est, par conséquent, la meilleure manière d’apprendre à vivre.

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Tout ceci semble presque trop évident pour être dit. Et pourtant, là où l’on s’attendrait à ce que ces idées soient répétées inlassablement, elles y sont quasiment totalement absentes. Car il s'avère que nos écoles, dont le but est de préparer les jeunes à la vie, considèrent l’erreur comme quelque chose à éviter à tout prix, quelque chose dont il faut avoir honte, quelque chose de dégradant. Un «bon» élève est quelqu’un qui a toujours les bonnes réponses ; le «meilleur» élève obtient 20/20 à chaque examen.

Au lieu de permettre aux enfants d’essayer de résoudre un problème de plusieurs manières et de tirer leur propres conclusions sur les meilleures solutions, nous leur enseignons les «bonnes» solutions, ou comment arriver aux «bonnes» solutions et l’on s’attend à ce qu'ils respectent fidèlement nos instructions.

Et, pire que tout, à l’école, nous signifions clairement aux enfants que les personnes qui font des erreurs ont raté; que plus vous faites d’erreurs, plus vous êtes idiot et peu susceptible de réussir dans la vie. Les écoles tentent de créer une haute estime de soi par les bons résultats, et produisent inévitablement une faible estime de soi chez les personnes qui accomplissent ces tâches de manière “inadéquate”.

En fait, il serait plus sensé de donner le message inverse. Ce n'est pas un art de gérer la vie quand tout se passe au mieux, sans incidents. La vie réelle est une succession d'incidents, et la personne qui peut les encaisser, en tirer des leçons, s’en remettre et continuer à fonctionner - une telle personne est un véritable survivant dans la lutte pour l'existence.

Plutôt que de l'éviter, nos écoles devraient encourager l'échec et encourager les enfants à faire face à l'échec avec sérénité. Nous devrions signifier clairement qu’un enfant qui essaie et échoue n'est pas condamné, et n’est pas plus mauvais que l'enfant qui réussit. En fait, l'enfant qui essaie et ne réussit pas a peut-être bien une longueur d’avance, tant qu'il se sent à l'aise pour déterminer comment réessayer et améliorer ses chances de réussite.

Au cœur de cette incompréhension dévastatrice qu’ont les écoles à propos de l'échec se trouvent les tests et les notations qui favorisent le culte idolâtre du «succès» et se chargent sévèrement du «mal» de l'erreur. Tant que l'ensemble du système de notation et d'évaluation ne sera pas éliminé tel quel, en bloc, il n'y aura pas de progrès significatif dans ce domaine. Lorsque nous nous débarrasserons de l’évaluation du succès par des adultes, nous pourrons alors commencer le processus lent et laborieux de la création d’un système éducatif où les enfants peuvent explorer librement, essayer autant qu’ils le souhaitent des solutions variées, et ainsi devenir des personnes pouvant résoudre des problèmes de manière magistrale, capables de relever n’importe quel défi et de surmonter n’importe quel obstacle.

 
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