Pourquoi un programme scolaire est contre-productif

En quoi proposer un programme peut nuire à la capacité de réfléchir par soi-même, d'être original ou créatif? Pourquoi proposer des cours uniquement sur demande des élèves?

Dans cet article, publié initialement le 23 avril 2018 sur le blog de la Sudbury Valley School, Hanna Greenberg, co-fondatrice et membre du personnel, partage ses réflexions sur ce sujet. Je remercie la Sudbury Valley School de m’avoir autorisée à publier une traduction de cet article sur ce blog.

 
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    Trop souvent, les parents, les éducateurs, et même les élèves nous demandent pourquoi nous sommes si inflexibles quant au fait de ne pas proposer de cours à SVS, et pourquoi nous enseignons uniquement en réponse à l’initiative des élèves. Ils se demandent pourquoi nous ne proposons pas simplement quelques matières «nécessaires», qui permettraient de soulager l’anxiété des gens et également d’améliorer l’image de l’école. Bien qu’il y ait de nombreuses raisons théoriques et pratiques à notre politique, il nous est difficile de l’expliquer d’une manière qui permette d’apaiser la crainte que nos élèves ne reçoivent pas l’instruction nécessaire pour réussir leur vie d’adultes dans notre société.

    La semaine dernière, j’ai eu une discussion avec un élève que j’appellerai A., qui m’a apporté un nouvel éclairage sur cette question. Nous parlions du fait de passer du temps seul dans les bois. A. m’a raconté qu’il ne s’y sentait jamais seul,  mais plutôt que son esprit était plein de pensées qui l’intéressaient et l’épanouissaient. Puis il continua en m’expliquant que bien qu’il adorait écouter de la musique, il s’était récemment aperçu que la musique exprimait les idées et pensées des musiciens qui l’avaient composée. C’étaient leurs pensées, non les siennes. En écoutant tout le temps de la musique, il sentait qu’il se privait de ses propres pensées. Il écoute désormais moins de musique, en met quand il en a envie, et non pour passer le temps. Il a besoin de quiétude pour être lui-même et trouve la musique dérangeante.

 
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    Cela m’a pris quelques jours pour comprendre de quoi parlait A., puis cela me frappa. C’était exactement ce que nous affirmons à SVS lorsque nous disons à nos élèves de prendre la responsabilité de la manière dont ils utilisent leur temps et de leurs apprentissages. Nous ne voulons pas remplir leurs esprits avec nos pensées.Nous voulons nous assurer qu’ils sont prêts à utiliser leurs esprits pour produire leurs propres pensées. Cela ne nous empêche pas de répondre à leurs questions ou d’exprimer nos opinions lorsqu’on nous les demande, ou encore d’être généralement disponibles pour discuter. Mais cela signifie que nous évitons de proposer un programme scolaire à suivre.

Les esprits des enfants ne sont pas vides et creux. Ils sont constamment occupés à appréhender le monde autour d’eux et à essayer de comprendre ce qu’ils voient. Quand nous, les adultes, essayons d’interférer dans ce processus naturel et de contrôler leurs esprits avec notre propre sagesse, nous courons le grave risque d’interférer dans leurs propres processus de réflexion. Cela pourrait mener à leur faire acquérir des connaissances factuelles, mais au prix de leur capacité à réfléchir par eux-mêmes et à être originaux et créatifs. Je ne conçois pas que les attributs que nous estimons chez nous-même et chez nos amis – être intéressant, perspicace, créatif et indépendant – sont des attributs que nous cherchons à sacrifier chez les enfants, en l’échange de connaissances que certains d’entre nous ont jugées nécessaires à acquérir. Nous, les adultes, devons faire davantage confiance en la capacité de nos enfants à trouver comment ils vont se préparer à être efficaces dans ce monde.

    Un autre aspect important pour moi est la question du temps – de ce que l’on considère être un bon usage du temps, ou une perte de temps. Le temps dont vous disposez sur cette Terre est votre vie. Lorsqu’on vous faire perdre de votre temps, on vous dérobe un morceau de votre vie. Nous devrions être très prudents lorsque nous confisquons à autrui l’usage de son temps. Nous le faisons trop souvent aux enfants car nous pensons que, parce qu’ils sont jeunes, leur temps est moins précieux que le nôtre. Mais en vérité, chaque minute où vous cherchez à occuper les enfants est du temps dont vous les privez, et du temps que vous les empêchez d’utiliser comme ils le souhaitent. Vous les détournez de leurs propres vies. Non seulement c’est un manque de respect et une invasion de leur vie privée, mais c’est également inutile. Plus un esprit est jeune, plus il est apte à acquérir des connaissances. C’est pourquoi intervenir dans le processus naturel des enfants lorsqu’ils travaillent à se comprendre eux-mêmes et à comprendre le monde est encore plus néfaste pour eux que ça ne l’est pour des adultes.

 
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    Je crois que l’acquisition de quelques informations factuelles, aptitudes ou autres ne vaut pas que l’on détourne l’enfant du processus que chaque enfant traverse. Le travail de l’adulte est de répondre aux questions lorsqu’on lui pose, d’offrir des outils et des opportunités lorsqu’on le lui demande, et de se mettre en retrait pour laisser les enfants travailler par eux-mêmes. Nous devons faire très attention à ne pas chercher à remplir les esprits des enfants de nos connaissances ; nous devons plutôt les laisser trouver leur propre savoir. Nous savons que nous ne serons pas à côté d’eux pour les guider toute leur vie, donc nous devons leur permettre de développer les outils dont ils ont besoin pour être leurs propres guides. Et cela se produit en les laissant avoir des difficultés et comprendre les choses par eux-mêmes, et en étant prêts à offrir notre aide lorsqu’ils la demandent.

Peut-être qu’une célèbre histoire zen exprimera cela mieux que moi :

Un maître zen japonais reçut un professeur d’université venu s’informer au sujet du Zen. Dès le début de leur conversation, il était évident pour le maître que le professeur n’était pas tant intéressé par l’apprentissage du Zen que par la volonté d’impressionner le maître avec ses propres opinions et connaissances. Le maître écouta patiemment et finit par suggérer qu’ils prennent le thé. Le maître remplit la tasse de son invité à ras bord, et continua à verser. Le professeur regardait la tasse déborder, jusqu’à ce qu’il ne put plus se retenir :

« La tasse est déjà pleine, plus rien n’entrera !

- Comme cette tasse, dit le maître, vous êtes remplis de vos propres opinions et spéculations. Comment pourrais-je vous montrer le Zen, si vous ne videz pas d’abord votre tasse ? »

D’après Hyams Joe, Zen in the Martial Arts, (St. Martin’s Press; New York, 1979), p.18-19.

Ce que j’ai appris de cette histoire est que, en tant que membre du personnel à Sudbury Valley, je dois veiller à ne pas remplir les « tasses » des élèves avec mes propres opinions et connaissances. Ils doivent la remplir eux-mêmes, et je dois les respecter et avoir confiance qu’ils rempliront leur « tasses » judicieusement.


À l’École Sudbury Lilloise, projet d'école basé sur le modèle de la Sudbury Valley School, les enfants et adolescents de 4 à 19 ans interagiront librement et décideront de ce qu’ils feront de leur journée.

Ils apprendront ainsi à penser par eux-mêmes et à accéder aux connaissances dont ils ont besoin par de multiples moyens. Ils apprendront à argumenter et à se confronter à des problématiques complexes. À travers les activités auxquelles ils décideront de se consacrer, ils apprendront les connaissances de base ; en étant maîtres de leur vie, ils seront également responsables des résultats qu’ils obtiennent. Ils apprendront à prioriser, à consacrer les ressources nécessaires pour obtenir ce qu’ils veulent et à travailler avec les autres dans un groupe. Ils exploreront le monde librement, à leur rythme, à leur manière, dans un climat de confiance et de respect. En étant responsables d’eux-même et de l’école, ils acquerront les ressources intérieures pour mener leur vie.

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