Sois fidèle à toi-même
Ce texte est une traduction de l'article "To thyself be true"écrit par Hanna Greenberg sur le blog de la Sudbury Valley School. Hanna Greenberg est co-fondatrice de la Sudbury Valley School et elle y travaille depuis 50 ans. Je remercie la Sudbury Valley School de m'avoir autorisée à publier la traduction de cet article sur ce blog.
Nous discutions des anniversaires, Audrey, Ben, Christine et moi. Les trois enfants venaient d’avoir 6 ans, et nous nous rappelions leurs fêtes d’anniversaire avec beaucoup de joie.
En tant qu’adulte normalement ridicule, j’ai posé les questions typiques que les enfants trouvent bêtes. Soit parce que la réponse est trop évidente, soit parce que la question a une signification sous-jacente que les enfants ne comprennent pas bien. En général, ils m’écoutent patiemment, et je continue à poser des questions, car cela me permet de comprendre comment ils pensent et ce qu’ils ressentent. Cette conversation en particulier s’est avérée être un succès.
J’ai demandé : « Tu te sens différente maintenant que tu as 6 ans ? »
Christine a répondu avec ferveur : « Non, pas du tout ! Pourquoi devrai-je me sentir différente? Je suis toujours moi-même, qu’est-ce que mon âge ferait comme différence? »
«Comme c’est vrai!» ai-je pensé, me sentant à la fois stupide et réprimandée.
Et pourtant, plus tard dans la journée, pendant que je pensais à ce que Christine m’avait dit durant cette conversation (où ses amis étaient totalement d’accord avec elle), je me suis rendue compte qu’en fait je n’étais pas si stupide. Ma question était même trop pertinente pour une grande partie des étudiants plus âgés de SVS (ndt: abréviation de Sudbury Valley School), de même que pour la plupart des adultes que je connais. Parce qu’en vérité, tant de nous perdent le sens de leur identité lorsque les années passent et que les processus de socialisation s’incrustent en nous. Plus nous apprenons à rentrer dans le moule, à suivre nos enseignants et à faire ce qui est attendu de nous – plus nous nous éloignons de notre vraie identité.
Au-delà de l’âge de 10 ans, tout le monde souffre de crises d’identité. Que ce soient des professionnels brillants juste avant la retraite, ou des métallurgistes ayant perdu leur emploi, ou des étudiants fraîchement diplômés de l’université ne sachant pas quoi faire à leur entrée dans la vraie vie, ou bien encore des adolescents qui essaient de trouver ce qu’ils vont faire une fois adulte. Il semblerait que pendant que la vie évolue et que nous faisons face aux changements, ce genre de questionnements nous attend tous. Ceux qui survivent à ces crises sont ceux qui se connaissent eux-même et qui en profitent pour approfondir leur compréhension d’eux-même et s’améliorer.
Mais ceux qui ont été détournés d’eux-mêmes trouvent ce temps douloureux et improductif. Ils ne sont pas équipés émotionnellement pour faire face à ces changements, car ils ne se sentent pas chez eux en eux-même. Ils ne croient plus vraiment qu’il ont le contrôle sur le cours de leur vie. Ils ont accepté ce que la société voulait qu’ils acceptent. Peut-être que ceci a fonctionné pour eux pendant longtemps, mais quand les conditions de vie changent, ils sont tout à coup perdus. Ils se sentent trompés par la société qui leur avait promis sécurité et stabilité s’ils faisaient ce qui était attendu d’eux. Ils ont troqué l’harmonie interne contre le succès externe, et ils se sentent trompés.
Nos écoles sont les instruments prédominants de ce processus qui fait rentrer les jeunes dans le moule. C’était un but utile et probablement justifié lorsque la société savait quelles compétences étaient nécessaires pour l’économie. Cela a fonctionné pour une grande partie de la population, pendant toute la durée de leur vie. Maintenant, les temps ont changé. Nous ne pouvons plus savoir ce que l’avenir nous réserve. Nous ne savons pas quelles seront les compétences qui seront le plus appréciées. Lorsque je faisais des recherches en biochimie il y a de nombreuses années, j’utilisais une règle à calcul. C’était un processus lent et imprécis. Maintenant, tout le monde a une calculette sur son téléphone, et le besoin en calcul arithmétique est obsolète. Oh, combien d’heures et d’heures avons-nous perdu ! Pareil pour l’écriture à la main et l’orthographe. Maintenant, presque tous les échanges sont électroniques.
Nos écoles doivent apprendre aux enfants à être flexibles dans leur pensée, à avoir confiance dans leurs capacités à prendre des décisions et, plus que tout, à se sentir responsables de leur propre vie et de leur communauté. Ces enseignements ne peuvent se faire qu’à des personnes qui savent qui elles sont, à des personnes qui sont elles-mêmes.
Je crois que c’est ce qui se passe dans notre école. Cela se passe à l’intérieur de chaque enfant, selon son propre chemin, mystérieux et personnel. Nous, les adultes, ne le faisons pas - nous permettons que cela se fasse. Et pourtant nous sommes remerciés par nombre de nos étudiants pour leur avoir rendu ce qu’ils avaient à l’âge de 6 ans et qu’ils ont ensuite perdu. Nombreux sont ceux qui me disent que c’est ce que cela a signifié pour eux d’être étudiant à SVS. Les étudiants plus jeunes venus à notre école sans en avoir fréquenté d’autres auparavant ne sont pas conscient de ce processus ; ils le vivent, tout simplement. Mais ceux qui viennent chez nous plus âgés me disent souvent une variante des mots que Jennifer a utilisé lorsqu’elle avait 16 ans :
« Quand j’avais six ans je savais qui j’étais. Puis je suis allée à l’école et j’ai oublié. Maintenant, après trois ans à SVS, je me suis retrouvée et je sais qui je suis. »